Le deuxième tour

Je me réveille sous l’avalanche des mauvaises nouvelles du jour. Le monde des Humains se referme sur lui-même, le scénario catastrophe hollywoodien devient rapidement une réalité. Il y a un mois, jour pour jour, j’atteignais à vélo la ville balnéaire d’Aqaba en Jordanie après avoir traversé un territoire vertical et d’avoir laissé quelques larmes éternelles au cœur du désert de Wadi Rum. Sur les Alpes-Maritimes, les politiques ont encouragé les gens à aller voter le weekend dernier, pour ensuite rétro-pédaler en chœur et nous ordonner de rester à la maison pour ne pas contaminer ses semblables.

Dans la journée, je prends le risque d’aller rejoindre le photographe de Nice Matin dans les ruelles de Cannes, complètement vides. Les mouettes et les cormorans se gaussent dans les airs, l’absence de voitures et d’animation humaine au sol, sonnent la grève des crottes d’oiseaux larguées depuis les airs. Deux policiers municipaux en « Segway » font des ronds sur la place du Palais des Festivals de Cannes. J’ose les approcher, déguisé en cycliste, avec mon fidèle vélo à la main pour leur expliquer le motif de ma présence désinvolte en ces « temps de guerre » comme l’a répété le président français hier à la télévision.

Ils sont surpris que j’établisse un contact, l’heure est à l’isolement et aux barricades. Sera-t-on un jour jugé de cette folie par nos frères et sœurs mammifères terrestres ? Le Corona Virus, cette maladie qui nous viendrait des chauves-souris et qui ne contaminerait que l’Humanité menace-t-elle de nous réduire en cendres ? Secrètement je l’espère. Plus sérieusement, j’ose la pensée scélérate que la psychose grandissante autour de cette crise sanitaire puisse éveiller les consciences sur la direction que prend l’Humanité depuis le siècle dernier.

Je me fais contrôler à deux reprises par deux brigades mobiles sur le boulevard de la Croisette et suis heureux d’avoir pris le temps d’imprimer mon « attestation de déplacement dérogatoire ». Visiblement les directives sont claires : arrêtez toutes celles et ceux qui ne respectent pas le couvre-feu mis en place par l’exécutif, qui pourtant n’a pas eu le courage d’en prononcer les mots. La magie de la télévision : une allocution de 25 minutes, pour dissimuler la vérité qui dérange, cacher le malaise, car oui l’Humanité affronte une menace inédite et la France devrait montrer l’exemple.

Ils sont surpris que j’établisse un contact, l’heure est à l’isolement et aux barricades.

L’art et la manière de traiter cette menace semblent pourtant vouloir spontanément nous écarter du droit chemin : celui de l’espoir de survie et que tout finira par aller pour le mieux. Je parviens à arracher une heure de vélo en extérieur et traverse une ville, un port et un bord de mer fantômes. L’écho des lieux que j’ai l’habitude de fréquenter prend une gravité certaine, une fois parcourus dans la solitude du virus.

L’objectif poursuivi depuis plusieurs années de nous écarter les uns des autres pour nous connecter derrière des écrans devient aujourd’hui une réalité. Pourtant, en pédalant sur la route je garde espoir. Je m’expose en roulant sur des routes isolées et endommagées des collines cannoises. En cas de chute, je viendrai potentiellement alourdir un service de secours surchargé et stressé par le virus. Je prends conscience que ce risque aujourd’hui, est ce même risque que j’ai décidé d’épouser, il y a plusieurs années déjà, depuis que je suis parti traverser des pistes impossibles et des continents à vélo. Prendre le risque de vivre prend aujourd’hui des proportions inconsidérées. Je croise sur les chemins quelques regards de citoyennes et citoyens hagards à pied, à moto ou en voiture. La peur se lit dans leurs yeux, la crainte d’être interpelé pour avoir commis le crime de se déplacer.

Pourtant, en ces temps d’incertitudes, la prise de risque de tout un chacun devrait briller tel le foyer des feux d’alarmes au sommet des montagnes. L’heure devrait être à la célébration de ces femmes gendarmes, ces hommes chauffeurs de bus, qui sillonnent les foyers humains pour garantir « le service minimum » du service public. J’aperçois un chauffeur de bus avec les warnings allumés sur le bas-côté de la route, nos regards se croisent. Spontanément, je lève le pouce en le fixant du regard pour le féliciter d’être « présent » en étant conscient que les héros du quotidien doivent sortir, se faire connaître et donner le meilleur d’eux-mêmes pour rassurer nos semblables. Car à défaut d’être terrorisé, je préfère sortir et chercher du regard ces héros du quotidien pour les féliciter plutôt que de perdre du temps à écouter une classe politique qui me parle principalement du devenir de leur « deuxième tour ».

N’écoutez pas les sirènes qui vous parlent d’un deuxième tour, car la vie n’en offre aucun.

La vie n’a pas de deuxième tour, aucune chance de relancer les dés. Aujourd’hui, ce virus est une piqûre de rappel vive et mortelle malheureusement pour certaines et certains. Notre mission est de célébrer la vie en luttant, en continuant de prendre des risques, en donnant le meilleur de nous-mêmes. Ne pas se rassembler, ne pas se toucher, ne pas se regarder, c’est une évidence à respecter impérativement. Point besoin de faire l’amour pour contaminer son partenaire, le virus est plus sournois et réclame une extrême prudence dans tous nos faits et gestes pour contenir son expansion qui pourrait être fatale pour des milliers d’entre nous.

L’espoir ne doit pourtant pas connaître de « service minimum » et quels que soient votre compétence, votre métier, votre don, votre passion, votre devoir est de faire briller aujourd’hui, plus que jamais, votre volonté de survivre. Car ce virus n’est qu’un test de plus de notre capacité à survivre et à nous adapter, parmi les tests quotidiens que nous recevons toutes et tous mais que nous avons appris à négliger, mépriser ou feint d’oublier par un excès d’assistances, de technologie mais surtout d’anthropocentrisme exacerbé.

Marchez en solitaire et observez attentivement la merveilleuse machine Nature que nous piétinons depuis très longtemps, que voyez-vous ? Les oiseaux piaillent, les chats dévorent les poubelles, nul animal ne se barricade. A vous de jouer pour vous souvenir de cet instant précis où l’Humanité peut saisir l’opportunité de célébrer la survie par un concours faramineux de bonne volonté et d’initiatives et non de gaspillage mondialisé. Pour la première fois de mes 34 années, la Nature envoie une opportunité de « marquer une pause », de sortir la tête du guidon et ceci de manière globalisée. J’espère sincèrement que vous êtes installés dans vos starting-blocks avec l’unique objectif de donner le meilleur de vous-même pour faire de ce village mondial un lieu de survie et de célébration formidable pour le maximum de vos semblables. N’écoutez pas les sirènes qui vous parlent d’un deuxième tour, car la vie n’en offre aucun.

Comments

  • 17 mars 2020
    Sylvie

    Tu deviens philosophe maintenant !!!!! C est touchant et émouvant !! Une fois de plus je partage à 100000 milles pour cent !!
    Prends soin de toi !!
    On a besoin de belle personne comme toi !!
    Bien à toi
    Sylvie

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