L’oncle Hô

Récit publié dans le Hors Série N°1 – 2023 du magazine 200

Photographe: Didier Martin et David Styv

Le Laos et le Vietnam regorgent de routes et pistes savoureuses où il fait bon de se perdre. Rejoindre ces deux pays est une vaste entreprise que ce soit par voie aérienne ou par voie terrestre. Pourtant, une fois sur place, comme beaucoup de lieux qui symbolisent des sanctuaires dans l’inconscient collectif de l’Occident, le jeu en vaut la chandelle. A l’aide de mon VTT semi-rigide et d’une configuration très minimaliste de matériels, je suis parti sur 2 700 kilomètres pour relier l’ancienne capitale culturelle du Laos : Luang Prabang à Saïgon (Hô Chi Minh ville) au Vietnam.

L’objectif de cette aventure fut de suivre la célèbre piste Hô Chi Minh qui fut déterminante dans l’issue des deux guerres successives d’Indochine et du Vietnam. Il y a près de soixante ans déjà, le projet de la piste voyait officiellement le jour quelques mois après la fin de la guerre d’Indochine alors que l’opposition entre le Vietnam Nord et le Sud faisait rage. A l’époque, ce réseau complet de voies de circulation qui allait représenter plus de 20 000 km de routes et 3 000 km de chemins, était un avatar de la résistance vietnamienne face à l’envahisseur américain. L’objectif de la piste (du réseau de fait) était clair : elle devait faciliter le ravitaillement en vivres et en armes du Vietnam Nord en passant par la chaîne de montagne inhospitalière de Truong Son qui forme la frontière naturelle avec le Laos et le Cambodge sur 1 100 km.

Sabaidee

Depuis le havre paisible de Luang Prabang, on a peine à croire les exactions vécues par les laotiens et en particulier les Hmong (« Les hommes de la montagne ») tant l’atmosphère est paisible et enveloppante au contact de ses habitants. Le marché matinal grouille de vie. Les étals présentent des insectes séchés, de la peau de buffle, des fruits exotiques et les Laotiens vous sourient béats. Pendant ce temps, les moines bouddhistes marchent en file indienne pour récupérer des offrandes alimentaires dans la rue auprès de leurs fidèles. Au mois d’octobre, la saison des pluies est terminée et l’humidité de l’air est supportable. C’est un intermède climatique qui ne dure que peu de temps mais qu’il est essentiel de viser si vous souhaitez vous aventurer à vélo hors des sentiers battus en Asie du Sud-est. Il ne fait pas bon de se risquer durant la période de la mousson provoquant des crues pouvant emporter déchets, débris végétaux, troncs d’arbres, routes et ponts sur leurs passages.

B52

Plus de 500 000 engins explosifs ont été largués tout au long de la zone frontalière entre le Laos et le Vietnam et sur le relief étourdissant de la jungle laotienne, laissant des traces douloureuses dans les esprits des anciens. Dès les premiers coups de pédales, les vrombissements des forteresses volantes américaines s’évanouissent de mon esprit pour laisser place aux sons aigus des insectes et aux murmures de la végétation qui semble en apparence impénétrable. L’itinéraire débute par une entrée en matière en douceur qui permet de « s’échauffer » sur plusieurs centaines de kilomètres pour rejoindre la plaine des Jarres et entamer les choses sérieuses.
L’asphalte, quand il est présent, est généreux et plutôt de bonne qualité. A cette période il peut enfin respirer après les chaleurs caniculaires et les pluies torrentielles qu’il a subi. La Chine, œuvre en arrière-plan depuis plus d’une décennie, pour poursuivre le développement du réseau laotien dans le cadre de son projet pharaonique des « nouvelles routes de la soie ». Le premier chemin de fer à grande vitesse du pays a d’ailleurs été construit et inauguré par les Chinois en 2021 pour relier la capitale Vientiane à la frontière chinoise, facilitant le commerce mais aussi les temps de transferts pour les habitants. Auparavant, il fallait près de 15 heures de bus sur une route défoncée pour rejoindre le Nord. Aujourd’hui en moins de 4 heures l’affaire est pliée en train, avec le vélo emballé correctement sous le bras.

L’oisiveté habituelle que les voyages à vélo de plusieurs semaines sait créer me coûte cher. En manquant de prudence sur l’asphalte, je pars dans le décor, trahi par une plaque d’hydrocarbure que les camions dispersent à leur passage. Cette chute me fait l’effet d’une piqûre de taon et me donne un coup de fouet qui m’accompagnera jusqu’aux portes Hô Chi Minh ville. Je saisis alors malgré la paix apparente qui règne ici, qu’il est temps pour moi d’entrer sérieusement dans cette expédition et d’en évaluer avec prudence les dangers. Ma trousse à pharmacie se limite à deux dolipranes, une brosse à dents et de la bétadine. Tel un oisillon qui s’apprête à prendre son envol, je frissonne à l’idée du défi qui se dresse devant moi car la piste et ses pièges sont encore à venir. Aucun droit à l’erreur, c’est la rançon du voyage ultraléger avec peu de matériels que j’accepte de payer, pour progresser avec plus de légèreté et franchir les obstacles de la topographie, qui se dressent devant.

Chaque matin son rituel : le réveil sonne à 5 h 00 alors que le soleil dort encore. Les Laotiens, comme souvent avec les peuples ruraux, vivent au rythme solaire. Les premières lueurs du jour requièrent une doudoune légère car à plus de 1 500 mètres d’altitude dans les montagnes, le thermomètre peut vite descendre sous les 15 ° C. Cela peut paraître chaud et relativement confortable. Pourtant, le corps chaque jour doit faire tampon pour résister aux variations considérables de température et d’humidité. Lorsque l’on passe de 35 ° C à moins de 15 ° C, les « coups de chaud » de la journée font frissonner l’épiderme qui tente de s’adapter péniblement. La peau brûle avec le soleil mais l’humidité la répare naturellement. Le cuissard comme le maillot sont trempés et pour des raisons évidentes d’hygiène, il est impératif de veiller quotidiennement à prévoir une séance de lavage et de séchage pour repartir sereinement. Ce n’est pas mon premier voyage à vélo au Laos et j’avais gardé le souvenir, délicieux et insupportable à la fois, que tout est trempé en permanence. Rien ne sèche vraiment, ni la terre de la piste, ni les vêtements de cycliste. Au contact des Laotiens, je comprends à quel point l’eau est un élément essentiel qui façonne leur culture. Tout ruisselle en permanence avec une puissance inexorable. A la surface de la terre, l’eau circule sans relâche à l’image du fleuve du Mekong et sa couleur brune. Sous la terre laotienne, les nombreuses cavités font le bonheur des spéléologues en herbe qui tentent de cartographier les nombreux lacs et rivières souterrains. L’eau est absolument partout et il faut vivre selon son humeur. L’humidité provoquée par le climat anime le quotidien des habitants et leur garantit un éclat de jeunesse sur le visage, même pour les plus anciens. Les enfants jouent dans la boue avec autant de plaisir que sous un soleil écrasant. Même pendant la saison sèche, il arrive que les averses s’abattent sur le territoire. Le concours de béquille des scooters est alors rapide, tous les deux roues s’arrêtent quand il pleut. Chacun sort alors son sac plastique qui fait office de veste de pluie afin de poursuivre sa destination, très souvent avec le sourire.

Le python de la fournaise

Ce pays est comme un poumon, il respire la vie et expire une énergie étonnante. Chez les humains comme en pleine nature tout se transforme en permanence ici, et à la différence des pays tempérés, le territoire semble être façonné quasiment en temps réel par le climat. Les ponts de bambous édifiés durant la saison sèche sont emportés comme du petit bois par les torrents. Les collines s’effondrent régulièrement sur les axes routiers en laissant des éboulements impressionnants que les Laotiens dégagent avec la patience des sages. Le chant des cigales mâles est effrayant tant il est puissant. Leur cymbalisation est omniprésente à chaque accalmie alors qu’elles se nourrissent inlassablement sur les végétaux environnants. Quand un python serpente sur la route devant mes roues, mon cœur marque une pause et je cesse de respirer un instant pour observer cette scène, terrorisé. Une grande concentration est indispensable pour piloter sur la piste Hô Chi Minh tant les sons de la faune et de la flore peuvent mener à la faute. Alors que la piste se resserre devant moi, les fins de journée où le soleil meurt à l’horizon sont des moments d’inquiétude mais excitants car ils sont volontaires. La montée d’adrénaline fait grimper le cœur de 10 ou 20 battements par minute et permet de conserver les sens aiguisés jusqu’à l’étape du soir. L’alternance de pluies fines puis d’accalmies laisse parler la flore. Le bruissement des feuilles qui font la taille d’arbustes européens associé aux chants des arbres m’accompagnent et me transportent alors que, suspension déverrouillée sur le vélo, je dévale à toute allure des tronçons de piste périlleux avant de terminer la journée.

Sur les traces des Vietcongs

Le plus dur, comme sur chaque voyage, est de progresser inexorablement, vers l’objectif fixé à des milliers de kilomètres de là. J’aimerai poser le pied à terre, j’aimerai m’enfoncer dans cette jungle pour mieux la connaître. La vérité c’est que le vélo est mon balancier et que je progresse tel un funambule suspendu au-dessus du sol animé chaque matin par une flamme qui fait disparaître toutes mes courbatures et douleurs corporelles. Notre époque va vite, je tente de la battre au sprint en me plongeant dans une simulation déformée du quotidien d’hier des Laotiens et Vietnamiens qui ont péri en édifiant cette piste. Il serait grotesque de se plaindre sur le vélo. Les pistes du pays saignent encore des plaies de la guerre qui a laissé à plusieurs Organisations Non Gouvernementales telle que la MAG, un travail colossal de déminage pour mettre enfin un terme aux morts atroces d’enfants qui sautent encore sur des mines dans les rizières. Depuis le ciel dans la région de Khammouane à 1 100 km de Luang Prabang, les marres artificielles apparaissent à l’écran de la télécommande du minuscule drone que j’ai embarqué dans mon sac à dos. Ces dernières confirment la puissance et l’étendue des impacts des bombes larguées toutes les 8 minutes par les B52 durant la guerre il y a 47 ans. Aujourd’hui encore, dans la vallée de Phanop, au décor féerique avec ses paysages karstiques de forêts de pics calcaire, l’humain a laissé des cicatrices profondes de ses combats idéologiques. A croire que chaque sanctuaire terrestre est systématiquement entaché d’une histoire humaine sombre. En allant visiter la grotte de Thamphanang, je rends hommage aux milliers de Laotiens qui ont tenté de survivre aux bombardements incessants en se cachant dans l’obscurité. Ils ont partagé l’habitat des chauves-souris et araignées dans des conditions à peine respirable sous terre.

Pour les amateurs de sensations fortes, la piste Hô Chi Minh peut encore réserver un exotisme rare avec notamment des segments d’une sauvagerie cycliste exceptionnelle où les pourcentages à deux chiffres se mêlent à des patinoires de boue. La transmission impeccable de la veille peut hurler de douleur le lendemain après seulement 10 km de pistes parcourus. L’épaisse glaise vient alors se déposer sur la chaine pour tenter de l’étrangler. Les pneus abandonnent leur robe noire pour une épaisse fourrure de boue et je suis heureux d’avoir emporté des tongs pour arpenter calmement ces sections. Le vélo se met à chanter ce chant qui inquiète lors des expéditions longue distance : celui des bruits, des craquements, des couinements qui témoignent de l’usure accélérée de chaque composant. Les quelques ruisseaux à franchir à gué ou en pirogues lorsque les ponts ont été emporté par la mousson, sont autant d’opportunités qu’il faut saisir pour nettoyer avec soin son destrier. Un conseil d’ami : observez toujours la méthode employée par les locaux pour traverser les rivières à gué afin de choisir votre trajectoire en mettant les chances de votre côté !

Globalement, ne vous méprenez pas : la piste Hô Chi Minh a bien changé et s’est considérablement améliorée. Avant le départ, j’avais rassemblé des photographies impressionnantes d’époques où l’on pouvait observer les conditions épouvantables que les Laotiens et Vietnamiens ont supporté pour édifier ce réseau au cœur d’une jungle hostile. Secrètement, je rêvais d’une piste en terre aux courbures parfaites et langoureuses avec des relances douces à VTT. Une fois sur le terrain, les quelques tronçons de pistes qui subsistent sont parfois très risqués mais sont à mille lieux de l’époque de la guerre. C’est une question de temps avant que la majorité des axes ne soient totalement asphaltés pour accélérer les flux de transports d’humains et de marchandises. Compte tenu du degré d’engagement de quelques passages, il est heureux que ces derniers soient aujourd’hui aménagés, notamment pour aider les populations à se déplacer au quotidien. Car l’abnégation nécessaire pour vivre dans ce pays est impressionnante. Je n’ai fait que le traverser tel un météore avec un vélo de 15 kg à la meilleure période de l’année, quand durant le conflit, les Laotiens et les Vietnamiens ont eu à pousser des vélos chargés de matériels pesant jusqu’à 300 kg dans des bourbiers phénoménaux.

Malgré ces changements profonds d’infrastructures, le Laos sait encore offrir des ingrédients d’exception pour les voyageurs à vélo. L’accueil de manière générale est empreint de curiosité et de simplicité. Il fait bon de poser le pied à terre chaque soir dans les villages laotiens et de saisir ces instants où les enfants vous courent après pour vous inonder de questions. Plus vous avez de boue sur le vélo, plus les rires sont intenses car ils ne connaissent que trop bien les galères (et les ruisseaux !) que vous avez traversé. L’emblème national, la bière locale « Beer Lao » est absolument partout et détrône pour une fois le Coca-Cola sur les étagères des échoppes. La douceur des fins de journée est d’un goût exquis lorsque je déguste une mousse fraiche, attablé au seul restaurant du village en souriant aux enfants et aux parents. Le miracle du voyage se produit, sans parler un mot de la langue et le lien s’établit pour rapidement trouver une solution de repos pour la nuit. Les locaux discutent, observent, rigolent puis soudain ils passent un coup de fil et vous voici emmené devant l’unique lieu de repos des voyageurs équipé d’un matelas et d’une douche. Le soir, je fais souvent mes réserves de carbohydrates avec le traditionnel riz frit (Khao Phat, prononcé « krao pat ») qui fait s’évanouir tous les défis de la journée en seulement une bouchée. Les délices de l’Asie se dégustent dans sa gastronomie à base de riz et de soupes qui sont le remède parfait pour les cuisses endolories. L’eau n’est jamais réellement un problème car le progrès technique a permis d’apporter une quantité impressionnante de produits alimentaires en tout genre sur le bord des routes et pistes. Avec seulement trois litres de transport journalier sur le vélo, cela me permet de tenir aisément sur des journées de 6 heures d’effort.

12 000 hélicoptères

Dans le centre du Laos, la chaleur grimpe vite en rejoignant la plaine et l’affluent du Mékong : la Nam Theun où est édifié le plus grand barrage hydroélectrique de l’Asie du Sud-Est construit et géré en partie par EDF. L’ambiance tranche avec les montagnes tant la température est écrasante. J’allume le ventilateur naturel en me mettant dans les prolongateurs sur mon cintre et j’écrase les pédales pour fendre l’air en observant les transformations de territoire qu’implique un tel ouvrage humain. Le cimetière gigantesque des arbres noyés par le réservoir Nam Theun 2 témoigne de la démesure de l’action de la main humaine qui façonne la géographie de ce territoire. Je suis conscient de faire partie et de contribuer à ce paradoxe et fais le choix d’écraser encore plus fort les pédales pour sortir mon esprit de cette réflexion intérieure.

Dans la ville de Ban Dong, à 300 km de la frontière avec le Cambodge et le Vietnam, le musée Lao-Vietnamien de la guerre est une visite incontournable. Il a été inauguré en 2010 pour commémorer la bataille de 1971 qui fut l’un des pivots de la reconquête du territoire par les Nord-Vietnamiens. Une épave d’un hélicoptère américain UH-1 est littéralement cloué au sol à l’entrée du musée, le ton est donné. 12 000 hélicoptères de ce type ont survolé le ciel durant la guerre et je ne peux m’empêcher de m’interroger sur les motifs qui l’ont provoqué. Presque 50 ans plus tard, je me tiens devant les épaves et les cendres de ce conflit alors que des bombes sont larguées au même moment en Ukraine. Aujourd’hui encore, les séquelles des combats le long de la piste Hô Chi Minh sont encore bien visibles. Il reste encore près de 20 ans de travaux de déminage estimés et je croise régulièrement des 4×4 de l’ONG MAG avec le balisage de « déminage en cours ». Il ne fait pas bon de s’aventurer hors des sentiers battus car les risques sont encore malheureusement bien réels.

Good morning Vietnam

Après 1 500 km, je rejoins la frontière avec le Vietnam qui matérialise la fin de la piste mais pas la fin du voyage. Le retour à la civilisation est brutal car une fois la frontière franchie, le centre Vietnam est en opposition violente avec l’ambiance laotienne. La taille des villes, le trafic intense et la culture de chaque mètre carré de l’espace naturel disponible, forment un contraste énorme avec le caractère préservé du Laos. C’est avec un arrière-goût amer que je progresse en direction d’Hô Chi Minh ville en longeant la frontière avec le Cambodge sur un asphalte presque parfait. Sur les cartes, une fine piste apparaît en parallèle de « l’Hô Chi Minh Highway » et je tente de la suivre. Sur le terrain, en moins de quelques heures je suis rattrapé par un militaire qui me demande calmement de ne pas m’engager davantage sur cet itinéraire. Je serai ensuite escorté puis suivi pendant 3 jours par des Vietnamiens qui me prendront en photo régulièrement comme pour partager, avec je ne sais qui, ma progression. L’œil des militaires est partout et se fait ressentir notamment avec les locaux qui deviennent muets et refermés sur eux-mêmes dès qu’un militaire m’approche. Le message est clair : le pays est ouvert au tourisme mais vous ne pouvez pas circuler où vous voulez. L’expérience urbaine vietnamienne est un mélange de Mad Max et d’impassibilité des usagers de la route où il intéressant de se plonger pour saisir l’énergie des Vietnamiens. Au-delà de mes jugements, je suis stupéfait d’observer le développement économique de ce pays et la pugnacité de ses habitants. Dans les rizières comme sur les marchés, les Vietnamiens travaillent sans relâche pendant que je me rapproche d’Hô Chi Minh plongé sur les prolongateurs.

Avant de rejoindre la statue de l’oncle Hô de la mégalopole et ses 5 millions de scooters, je marque un détour sur les hauts plateaux du centre du pays pour rejoindre Dalat où ma mère est née en pleine guerre d’Indochine. Je respire l’air des hauts plateaux la bouche ouverte et reçoit en guise d’accueil un orage vietnamien d’une violence rare. L’arrivée sur Saïgon exige que j’utilise toutes mes ressources et réflexes acquis au cours de 12 années d’exploration à vélo. Le trafic est erratique, les véhicules en tout genre ruissellent par tous les axes possibles. Un homme marche calmement à contresens sur l’autoroute pendant que des camions dévalent sans freins à 90 kmh dans le fracas de leurs coups de klaxon. Je tente d’anticiper chaque comportement pour placer ma roue sur le fin bandeau d’asphalte de 50 cm de large qui m’est réservé. Comme à chaque fois lorsque le stress des conditions extérieures me plonge dans une transe, j’ai le cœur perché et à 155 pulsations le disque dur de ma mémoire enregistre des photographies cocasses de ces pénétrations urbaines. Elles marquent souvent la fin d’un voyage à vélo et le mal nécessaire par lequel il faut passer pour revenir dans le monde réel en se mêlant à la jungle, humaine cette fois.

Récit publié dans le Hors série N°1 – 2023 du magazine 200

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